Accueil > Boite à outils "Transition Énergétique" > Union Européenne : parcours d’obstacles pour le paquet énergie-climat (...)
Union Européenne : parcours d’obstacles pour le paquet énergie-climat 2030
mardi 21 janvier 2014
UNION EUROPÉENNE : PARCOURS D’OBSTACLES
POUR LE PAQUET ÉNERGIE-CLIMAT 2030
La Commission européenne s’apprête à publier ce 22 janvier ses propositions sur le paquet énergie-climat pour 2030. Les lobbys, ONG, gouvernements et institutions se déchirent sur le sujet à Bruxelles, alors que la Commission elle-même n’arrive pas à se mettre d’accord sur les futurs objectifs européens.
Lire l’article sur Le Moniteur.fr
Le dossier est explosif. La Commission européenne voulant éviter les traditionnelles fuites lorsque les dossiers parviennent aux cabinets de tous les Commissaires européens, les propositions sont données lundi 13 janvier en mains propres dans le cadre d’une procédure expéditive de quelques jours, tout au plus.
C’est un euphémisme de dire que le dossier énergie-climat 2030 rencontre des difficultés. Au sein de la Commission européenne, tout d’abord. Suite au vote clair des députés européens du 9 janvier en faveur de trois objectifs contraignants (CO2, renouvelables et efficacité énergétique), le Président de la Commission José-Manuel Barroso a réuni la petite dizaine de Commissaires européens concernés le 10 janvier, pour démarrer la consultation interservices sur les propositions. Une réunion qui n’a pas permis de lever les dernières incertitudes sur la teneur des objectifs européens pour 2030.
Il semble qu’entre autres, Günther Oettinger (énergie) et Antonio Tajani (industrie) fassent de la résistance en voulant limiter à 35 % au lieu de 40 % l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030. Mais ils seraient en minorité. La Commissaire au climat Connie Hedegaard est en faveur de 40 %, comme le suggère de toute façon sa feuille de route pour 2050, dont il serait périlleux de s’écarter. Un objectif de 40 % de réductions « domestiques » (c’est-à-dire sans l’utilisation de crédits carbone internationaux) a même été soutenu un peu plus tôt dans la semaine par la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie.
L’efficacité énergétique
L’efficacité énergétique, mise en exergue dans le rapport du Parlement européen, est tombée dans les oubliettes des propositions de la Commission. Elle pourrait rattraper le train avec la revue des plans nationaux prévue pour juin prochain par la Commission, mais c’est le Commissaire Oettinger qui a la main sur son agenda. Rien ne dit que tous les États membres soumettront leurs nouveaux plans d’ici avril, comme l’exige la nouvelle directive sur l’efficacité énergétique.
Comme toujours, elle est mise en avant dans les discours mais ne passe pas l’obstacle de la volonté concrète des décideurs politiques. Dans une lettre très franche à José-Manuel Barroso, le p-dg de Knauf Insulation, Tony Robson, résume assez bien la situation : « Si les mots étaient de l’action dans le cadre de l’efficacité énergétique, j’ouvrirais de nouvelles usines en Europe, mais comme ce n’est pas le cas, nous venons de fermer une usine en Italie et nous comptons en ouvrir trois aux Etats-Unis, en Asie et en Turquie (…) Oubliez une seconde le boom du gaz de schiste et rappelez-vous que la plus grosse ressource énergétique que nous ayons est l’efficacité énergétique. »
Energies renouvelables
Il semble également déjà acquis que l’objectif pour les renouvelables proposé par la Commission ne sera ni obligatoire, ni ventilé par pays, comme c’est le cas actuellement. Sans doute pour favoriser une coopération pour l’heure embryonnaire entre pays européens, et rendre plus efficace la production des sources renouvelables là où elle est la plus rentable. Mais le hic, c’est la hauteur de l’objectif.
Connie Hedegaard ne pouvant se battre sur tous les fronts, elle pourrait ne pas pouvoir empêcher la revue à la baisse de l’objectif pour les renouvelables. Le chiffre de 30 % en 2030 ne serait même pas acquis. Or, selon des calculs effectués par les industriels des renouvelables, l’UE sera entre 25 % et 30 % en 2030, même sans nouvelle politique. Un objectif inférieur à 30 % équivaudrait donc à pas d’objectif du tout. CQFD. Sans objectif contraignant, les industriels des renouvelables ne pourront prétendre à des conditions de crédit favorables, conséquence de l’incertitude réglementaire.
Gaz de schiste
Il semble que la Pologne soit prête à avaler la couleuvre, pour autant qu’on la laisse tranquille sur le dossier du gaz de schiste, qui fera également partie du « paquet » du 22 janvier. En effet, les propositions du Commissaire à l’Environnement Janez Potocnik pour encadrer l’extraction du gaz de schiste ne seront pas contraignantes, à son grand regret. La realpolitik – et surtout le lobbying interne de Günther Oettinger – auront eu raison des velléités réglementaires du Commissaire slovène. Sa proposition est toujours en consultation et pourrait même encore y laisser des plumes au passage.
Compétitivité
Les propositions sur le paquet 2030 ne viennent pas seules. Une « analyse de la structure des prix et des coûts de l’énergie dans les États membres, ainsi que des facteurs qui les déterminent » devait être achevée avant fin 2013. L’analyse fait maintenant partie du paquet attendu le 22 janvier, dans un souci de cohérence. Il comprendra également une recommandation (non-contraignante) sur le gaz de schiste, une proposition de réforme du marché du carbone européen et une communication sur la compétitivité industrielle. Le Conseil européen des 14 et 15 février 2014, qui devait traiter de compétitivité (y compris des prix de l’énergie), a été annulé. Le Président du Conseil européen Herman van Rompuy « a annoncé [la nouvelle] aux chefs d’Etat et de gouvernements » européens lors du dernier Conseil européen des 19 et 20 décembre, selon son service de presse, contacté par Enerpresse. Or, celui-ci n’en a pas parlé lors de son allocution de fin de Sommet. Tout juste peut-on dénicher dans les conclusions du Conseil européen de décembre que celui-ci « reviendra sur la question de la politique énergétique lors de sa réunion de mars prochain ». La nouvelle s’est donc seulement répandue cette semaine comme une traînée de poudre dans les rédactions.
Dans une souci de cohérence, la réunion des chefs d’Etat et de gouvernements européens des 20 et 21 mars, initialement consacrée aux objectifs socio-économiques européens (dont les objectifs climatiques), sera finalement consacrée aux questions énergétiques et de compétitivité industrielle, ainsi qu’au paquet énergie-climat pour 2030, afin de préparer le terrain en vue de l’adoption d’un accord politique au Conseil européen de juin 2014.
Les lobbys et les ONG se sont brutalement réveillés en ce début d’année et les déclarations fusent de tous les côtés sur le paquet énergie-climat 2030. La consultation lancée en mars 2013 par le Commission et qui s’est achevée début juillet, semble se prolonger. Le Centre for European Policy Studies (CEPS) s’est bien gardé de donner des chiffres mais prône un « signal carbone fort » tout en tenant compte du fait qu’on « vit dans un monde de politiques carbone asymétriques ».
Les employeurs européens représentés par BusinessEurope ont demandé à Manuel Barroso de « préparer d’une manière cohérente et complémentaire » ses propositions pour le climat et pour la compétitivité européenne. L’industrie veut un seul objectif, qui plus est « réaliste » : la réduction des émissions de carbone. Et celui-ci devra tenir compte des résultats des négociations internationales sur le climat en 2015.
Une autre lettre à José-Manuel Barroso de la part du Groupe des Investisseurs Institutionnels sur les changements climatiques (IIGCC), représentant 85 fonds de pension, compagnies d’assurance et gestionnaires de patrimoine (totalisant 7.500 mds d’euros d’investissements) a révélé au grand jour le double discours des gros consommateurs d’énergie. L’IIGCC révèle en effet qu’en tant qu’actionnaires d’industries intensives en énergie, ils ont eu l’assurance de celles-ci que le risque concurrentiel du marché du carbone européen pour leurs opérations en Europe « n’est pas une question problématique ».
À Bruxelles, les réunions et les lettres se succèdent. A l’approche du 22 janvier, le rythme devrait s’accélérer tant les enjeux sont énormes.