Le collectif 07 STOP AU GAZ DE SCHISTE affirme son refus de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère et autres hydrocarbures dits non-conventionnels (gaz et pétrole de schiste, huiles lourdes, gaz de réservoir compact, gaz de couche, sables bitumineux ...) et de tous hydrocarbures dont l’extraction nécessite l’utilisation de techniques, quel que soit leur nom, nécessitant de fracturer, stimuler, acidifier ou encore de fissurer la roche et ayant pour conséquence de porter atteinte à son intégrité. Il s’oppose à l’aberration économique, sanitaire, environnementale et climatique aux conséquences désastreuses que constituent ces projets pour les départements impactés. Il promeut une transition énergétique, écologique et solidaire.

Après 7 années de lutte, du rassemblement de Villeneuve de Berg 2011 au rassemblement de Barjac en 2016 jusqu’à la loi Hulot 2017, sont enfin abrogés, annulés ou rejetés tous les permis de recherche de l’Ardèche, du Gard, de la Drôme, de l’Isère, de Savoie, du Vaucluse, du Var, des Bouches du Rhône, de l’hérault. Toutefois, AILLEURS, d’autres sont encore valides et la lutte continue : En savoir plus

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Interview du Pr émérite Chems Eddine Chitour sur les gaz de schiste

lundi 2 février 2015

INTERVIEW SUR LES GAZ DE SCHISTE
PROFESSEUR ÉMÉRITE CHEMS EDDINE CHITOUR

Samedi 31 janvier 2015
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur

L’Algérie vit présentement une situation délicate dans un contexte international difficile avec des défis à la fois internes et externes La chute des prix du pétrole est due non seulement à des facteurs économiques, comme le ralentissement de la demande mondiale, mais à des facteurs géopolitiques. L’Algérie est une victime collatérale d’une géopolitique mondiale où elle n’est pas partie prenante.

- 1. Le groupe Sonatrach vient d’annoncer 70 milliards de dollars d’investissements sur vingt ans pour produire à partir de 2022 un volume de 20 milliards de m3 par an. Est-ce que c’est un investissement rentable si on tient compte des prix bas du gaz sur les marchés internationaux ? comme vous le savez beaucoup de grandes compagnies pétrolières comme Shell et BP ont arrêté les forages en raison de leurs coûts élevés.

Je ne suis pas sûr que c’est le moment et je pense que ces annonces auraient pu être mieux communiquées. Je formulerai autrement. Quand la faisabilité des forages d’exploration aura été démontrée notamment en terme de cout au moment de l’exploitation qui pourrait intervenir à partir de 2022 , Quand nous serons prêts technologiquement en formant les ingénieurs et les techniciens de géologie de géophysique, de forage, de mécanique, d’électrotechnique d’informatique de management sans oublier les spécialistes de l’environnement, le gaz de schiste jouera pleinement son rôle et permettra par son exploitation sûre et sans danger pour l’éco-système du Sahara à l’Algérie des rentrées de devises pour des investissements dans le développement du Sahara notamment dans le domaine de l’agriculture.

- 2. En 2022, la demande gazière mondiale sera-t-elle au rendez-vous pour permettre à Sonatrach de placer ses 20 milliards de m3 de gaz de schiste sur les marchés internationaux , si on tient compte du resserrement de la demande gazière en Europe qui est le marché traditionnel de l’Algérie et de la hausse de l’offre de GNL provenant de grands pays producteurs comme le Qatar et l’Australie et aussi de l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen ?

Nous ne sommes sûrs de rien ! Il est connu que les spécialistes qui lisent dans les boules de cristal se trompent régulièrement Personne ne prévoyait il y a un an que le prix du pétrole perdrait les deux tiers de sa valeur ! Dans ces conditions les investissements à faire doivent être bien étudiés et avec pondération. *Nous disposons de ressources conventionnelles encore importantes pourquoi ne pas les valoriser elles qui ne présentent pas de risques nous avons une densité de forage 100 fois moins importante que celle des Etats Unis !

La question qui se pose est : Que doit faire l’Algérie si elle doit choisir entre l’exploitation aléatoire du gaz de schiste avec beaucoup d’inconnus notamment un marché énergétique volatil et la vraie richesse qui est celle de verdir le Sahara qui devrait pouvoir contribuer à la diminution de la dépendance alimentaire en devenant le grenier à céréales et maraichages en tout genre du pays

- 3. La porosité de la roche schiste en Algérie nous permet –elle des taux de récupération importants. Le ministre avait avancé à In Salah un taux de récupération de 10% est-ce que c’est possible ?

C’est un fait ! La majorité des études sur le gaz de schiste montre que le gaz de schiste est une technologie dangereuse avec les techniques actuelles. Même aux Etats-Unis, pionniers dans le domaine, 49% des Américains sont désormais opposés à l’extraction du gaz de schiste par fracturation. Le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo, avait décidé le 17 décembre 2014 d’interdire la fracturation hydraulique à cause des « risques qu’elle présente pour la santé des populations ».

Actuellement Il n’existe pas d’extraction de gaz de schiste sans risques sur l’environnement Les raisons sont nombreuses, les principales sont les suivantes :

1° La fracturation hydraulique -600 kg/cm2- démolit l’architecture interne des couches C’est une technologie récente et nous n’avons pas fait le tour de toutes les mauvaises surprises

2° D’énormes quantités d’eau douce (10 à 15000 m3 d’eau par puits étant entendu qu’un puits peut être facturé plusieurs fois) Pour un pays en stresscomme l’Algérie chaque goutte compte

3° Un puits ne draine donc qu’un faible volume de roches et ramène relativement peu de gaz. Pour produire une même quantité de gaz, il faut multiplier les puits ce qui nécessite, pour une même quantité de gaz produit, des investissements nettement plus importants.

4° Avec l’eau on ajoute du sable pour maintenir les pores ouverts pour libérer les gaz mais aussi et c’est aussi un autre motif d’inquiétude il y a plus de 2000 produits chimiques de nocivités différentes d’après une étude faite pour le Sénat américain en 2012. C’est-à-dire que sur chaque puits de forage il y a 2000 litres de produits chimiques et on sait que la nocivité se mesure en ppm, Ces dizaines de milliers de litres peuvent naturellement polluer la nappe

5° Des malaises importants sont signalées Selon le site France Libertés, « 25% des produits qui s’infiltrent dans les nappes phréatiques, sont cancérigènes, 37% sont des perturbateurs endocriniens, 40 à 50% pourraient affecter les systèmes nerveux, immunitaire et cardiovasculaire, et plus de 75% les organes sensoriels et le système respiratoire ».

6° Enfin on doit prendre en compte aussi car les coûts de réalisation varient entre 10 et 18 millions de dollars, alors qu’aux USA le coût moyen est de 5 à 7 millions de dollars. Il faut donc une parfaite maîtrise technologique afin de réduire les coûts. Ce qui demande du temps et de la compétence.

- 4. Quel mix énergétique préconisez-vous pour l’Algérie ? Est-ce le modèle énergétique tel que conçu par le gouvernement va assurer la sécurité énergétique du pays à long terme ?

Le gaz de schiste est une richesse qu’il nous faut exploiter *rationnellemen*t. Les forages d’exploration sont nécessaires pour maîtriser la technique, leurs faibles nombres n’hypothéquera pas les fondamentaux de la vie. Le gaz de schiste fera partie d’un bouquet énergétique et aura toute sa place le moment venu quand la technologie sera mâture , que nous avons les compétences nécessaires et pris toutes les précautions en terme d’environnement. Nous n’avons pas à parler de moratoire. L’étude du gaz de schiste doit se poursuivre, Nous devrons terminer rapidement la phase d’exploration pour procéder aux études d’évaluation réelles de la ressource, ca jusqu’à présent c’est une étude américaine qui nous donne le chiffre de nos réserves

Il vient qu’une transition énergétique vers le développement durable* de l’Algérie est une voie qui peut nous permettre de rebondir. Un modèle énergétique et l’optimisation de l’efficacité énergétique pourraient, elles aussi, contribuer à prolonger la durée de vie des gisements conventionnels

- 5. Enfin le programme des énergies renouvelables tel qu’il est mené actuellement par le gouvernement est-il en mesure de produire, selon les prévisions arrêtées dans ce sens, un tiers de la demande de l’électricité du pays à partir de 2030 ?

Le programme d’énergie renouvelable est loin d’être consistant. _ Les énergies renouvelables représentent moins de 0.1% du bilan électrique Une transition énergétique bien élaborée permettra d’aller vers le développement durable en mettant en place un mix énergétique, un bouquet énergétique où chaque énergie sera développée rationnellement mais avec détermination. Le solaire algérien est l’un des plus important au monde en intensité et en surface et pourtant il ne se développe pas

Nous avons plus de deux cent sources d’énergie géothermique qui* peuvent être exploitées pour le chauffage des habitations mais aussi à usage industriel en dehors de l’aspect médical, on en fait rien. La région d’Adrar est connue pour la force de ces vents et pourtant il n’ya pas d’éolien mis à par les 8 MW alors que l’on pourrait y placer 100 fois plus pour irriguer, et développement l’agriculture. La réhabilitation du patrimoine forestier permettra de mettre en valeur nos forêts pour aboutir la mise en place d’une industrie du bois et de ses dérivés de la production d’énergie à partir du bois

Un partenariat winn winn avec les leaders mondiaux du solaire de l’éolien ( Chine, Allemagne, Etats Unis) nous permettra d’adosser chaque calorie d’hydrocarbure exportée à la mise en place de systèmes de production d’énergie renouvelable

Le moment est venu de mettre tout à plat pour changer de modèle de croissance en allant vers la sobriété et le développement durable. Il faut le marteler la plus grande réserve de gaz et de pétrole pour l’Algérie, ce /sont les économies d’énergie pouvant aller à 15/20%./ Il n’y a pas de petites économies. Tout est bon à prendre Au vu de la consommation actuelle 4 milliards de mètres cubes gazeux par an cumulés horizon 2015/2030, avec une progression arithmétique c’est plus de 90/100 milliards de mètres cubes gazeux d’épargné

Il est temps aussi d’élaborer une stratégie pour la rationalisation de l’énergie et l’augmentation progressive de ses tarifs. De ce fait, il sera nécessaire de redéfinir la politique sociale et le soutien d l’Etat aux classes vulnérables.
C’est d’ailleurs ce que recommande les économistes C’est une pédagogie de tous les jours qui amènera le citoyen à être économe sobre et à /consommer algérien/.

On identifie à tort le Sahara au désert. Le Sahara est un écosystème unique il y a une vie, il y a une flore, il y a des habitants qui sont là depuis la nuit des temps ;* La plus grande richesse au Sahara c’est l’eau, source de vie. Songez que nous sommes à la latitude de la Californie qui est un véritable jardin ou mieux encore, plus près de nous, de Marrakech, autre jardin, et il ne tient qu’à nous d’en faire de même.*Le développement du Sud est le véritable challenge à lever en mobilisant toutes les énergies,

Le gaz de schiste aura toute sa place dans le cadre d’une stratégie énergétique basée avant tout sur la sobriété énergétique. Il ne peut y avoir d’exploitation tant que nous ne serons prêts scientifiquement et technologiquement prêts et tant qu’il y a un risque aussi mineur soit il sur le danger d’une pollution que serait une deuxième mort plus dangereuse que celle des explosions atomiques et que les expérimentations sur les armes chimiques que notre Sahara a enduré

Dans cette transition il nous faut un plan Marshall pour les énergies vertes, pour la mise en place d’un développement durable qui doit concerner tout le monde La mise en valeur de l’Algérie du Sud notamment dans le domaine agricole et touristique permettrait outre la création de richesses, le brassage nécessaire au vivre ensemble qui doit être plus que jamais notre credo

Professeur émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique Alger

Chems Eddine Chitour est professeur de thermodynamique à l’École nationale polytechnique d’Alger, titulaire d’ingeniorat en génie chimique de la même école et d’un doctorat es-Sciences de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (France).
Auteur d’une centaine de publications et de communications scientifiques et de plusieurs ouvrages sur l’énergie et les enjeux géostratégiques, il a aussi écrit plusieurs essais sur l’histoire de l’Algérie, l’éducation et la culture, la mondialisation, les défis de l’Islam et l’émigration.