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L’Algérie s’engage dans une voie dangereuse
mercredi 6 août 2014
L’ALGÉRIE S’ENGAGE DANS UNE VOIE DANGEREUSE
Dans une longue interview exclusive accordée à El Watan, Nicolas Imbert (1), directeur exécutif de Green Cross France et Territoires, donne un éclairage sur les enjeux liés à l’exploitation des énergies non conventionnelles, la préservation des ressources, l’éco-conception et la consommation responsable.
L’exploitation des hydrocarbures schisteux peut-elle se faire sans porter atteinte aux ressources hydriques et à l’environnement ?
Clairement non : il y a, tout d’abord, un danger sur la santé humaine, ensuite, sur la contamination des eaux, le stress hydrique et, enfin, différents dommages environnementaux, sur les activités agricoles et touristiques. Sans compter les risques de microséismes. Il faut également se rendre compte que les gaz de schiste ne servent pas la transition énergétique et ne préparent ni à une énergie bon marché, ni à une énergie décarbonnée.
De la même manière que la ruée vers l’or a enrichi les vendeurs de pelles, les gaz de schiste font la fortune des sociétés qui vendent les technologies de forage ...
- Abdelmadjid Attar et quelques autres ministres algériens crient à la polémique et pensent qu’il y a exagération sur les risques écologiques et environnementaux. Qu’en pensez-vous ?
Les risques liés à l’exploration et à l’exploitation des gaz de schiste sont avérés. En France, ils ont été interdits en vertu du principe de prévention (et non pas du principe de précaution), ce qui démontre un risque « certain », avéré et non pas un risque hypothétique. Le risque est donc là, avéré, et incontestable.
Par contre, ce sont les éventuels bénéfices liés à son extraction qui sont, eux, contestables ...
Quel sera l’impact de la fracturation du gaz de schiste dans le Sahara algérien sur les nappes phréatiques et des sols à moyen et long termes ?
Le Sahara contient des aquifères profonds parmi les plus vastes au monde, avec des risques de pollution irrémédiables qui pourront se manifester très loin des lieux de fracturation, et qu’en plus, le désert a déjà été ébranlé par les essais de bombes atomiques françaises, et qu’on ne modélise que très imparfaitement son comportement en cas de nouveaux chocs de fracturation. ...
Y a-t-il des techniques alternatives dites « propres » à la fracturation hydraulique ? On parle, par exemple, de la fracturation au fluoropropane...
Aujourd’hui, cette technique n’existe pas à l’échelle industrielle, elle est particulièrement dangereuse en phase d’utilisation : le fluor accélère la destruction de la couche d’ozone, propane et fluor ont une contribution à l’effet de serre environ 20 fois supérieure au dioxyde de carbone. Toutes ces techniques ont le point commun de fracturer la roche mère en provoquant une surpression (une « explosion » de la roche en profondeur) ...
Dans la situation économique actuelle de l’Algérie, a-t-on vraiment besoin de l’exploitation de ce gaz ?
Pas du tout… l’Algérie a absolument tous les atouts pour mettre en place des énergies renouvelables de proximité, que nous appelons 4D : déconcentrées, décarbonnées, diversifiées et démocratiques, ce peut être un mix de solaire thermique, de solaire photovoltaïque, d’éolien, d’hydroliennes au fil de l’eau, de biomasse… toutes des technologies qui existent actuellement, qui ont beaucoup plus de bénéfices que de risques et qui sont compétitives économiquement. ...
C’est donc une affaire politique plutôt qu’économique ?
La décision de développer du gaz de schiste à l’échelle d’un pays est très idéologique, et pas du tout dictée par la rationalité économique. ...
Si l’exploitation du gaz de schiste présentait beaucoup d’avantages pour la France, une indépendance énergétique, la création des milliers de postes et l’amélioration de sa balance commerciale et la diminution de son chiffre d’importation de gaz qui atteint les 14 milliards d’euros, chaque année, pourquoi donc l’interdire ?
Malheureusement, toutes les assertions que vous avancez sont fausses. Nous avons effectué un rapport en 2012 et 2013, que nous avons présenté au groupe de travail gaz de schiste de l’Assemblée nationale française, en juillet 2013, qui casse sept idées reçues : l’exploitation du gaz de schiste permet de faire baisser les prix du gaz sur les marchés spot et de faire pression sur les contrats long terme, qu’elle permettrait à la France de réduire significativement ses importations de gaz, la création d’emplois locaux, sa disponibilité en quantité importante en Europe et au Maghreb de manière certaine, qu’il va permettre à la France d’avoir une nouvelle source d’énergie qui se substitue aux autres hydrocarbures fossiles et l’inscrit donc dans la transition énergétique, que le gaz de schiste est un combustible fossile plus vert que les autres hydrocarbures, qu’il est possible de garantir une étanchéité parfaite à un puits.
Toutes ces idées sont fausses et nous le démontrons. ...
A qui profite la décision de lancer la production du gaz de schiste en Algérie ?
L’Algérie part dans un positionnement qui lui fait rater la transition énergétique et l’engage dans une voie dangereuse pour la santé des habitants, l’approvisionnement en eau, l’environnement et l’économie, et sur laquelle elle achète la technologie à l’extérieur sans la posséder. La France exporte une technologie qu’elle ne tolère pas sur son sol, en vertu du principe de précaution, et vend à autrui une technologie dont elle connaît les risques avérés.
Lire l’article de Nicolas Imbert (Green Cross France) sur El Watan.com
(1) Nicolas Imbert est directeur exécutif de Green Cross France et Territoires et consultant en stratégie du développement durable à propos de l’exploitation du gaz de schiste.