Le collectif 07 STOP AU GAZ DE SCHISTE affirme son refus de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère et autres hydrocarbures dits non-conventionnels (gaz et pétrole de schiste, huiles lourdes, gaz de réservoir compact, gaz de couche, sables bitumineux ...) et de tous hydrocarbures dont l’extraction nécessite l’utilisation de techniques, quel que soit leur nom, nécessitant de fracturer, stimuler, acidifier ou encore de fissurer la roche et ayant pour conséquence de porter atteinte à son intégrité. Il s’oppose à l’aberration économique, sanitaire, environnementale et climatique aux conséquences désastreuses que constituent ces projets pour les départements impactés. Il promeut une transition énergétique, écologique et solidaire.

Après 7 années de lutte, du rassemblement de Villeneuve de Berg 2011 au rassemblement de Barjac en 2016 jusqu’à la loi Hulot 2017, sont enfin abrogés, annulés ou rejetés tous les permis de recherche de l’Ardèche, du Gard, de la Drôme, de l’Isère, de Savoie, du Vaucluse, du Var, des Bouches du Rhône, de l’hérault. Toutefois, AILLEURS, d’autres sont encore valides et la lutte continue : En savoir plus

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La recherche de gaz de schiste : vendre du rêve pour mieux exploiter

samedi 28 décembre 2013

LA RECHERCHE DE GAZ DE SCHISTE :
VENDRE DU RÊVE POUR MIEUX EXPLOITER

Par Thomas Porcher, prof d’économie sur le plus.nouvelobs.com

La recherche de gaz de schiste ne serait-elle que de la poudre de perlimpinpin pour permettre aux compagnies d’exploiter tranquillement le sous-sol ? Si le ministre de l’Écologie, Philippe Martin, ne s’est pas fait avoir en refusant sept permis, les défenseurs de la recherche mènent toujours une bataille féroce et hypocrite, comme nous l’explique Thomas Porcher, professeur d’économie et auteur du "Mirage du gaz de schiste".

Depuis la décision du conseil constitutionnel qui valide la loi du 13 juillet 2011, le nouveau cheval de bataille pour rouvrir le dossier sur l’exploitation du gaz de schiste semble être la recherche. Car si l’interdiction de la fracturation hydraulique pour le gaz et le pétrole non-conventionnels est gravée dans le marbre, l’article 2 de la loi prévoyant "la mise en œuvre d’expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public" l’est également.

C’est d’ailleurs ce que prône le rapport de Bataille et Lenoir. Il plaide pour quelques dizaines de forages expérimentaux et un développement de la recherche sur les techniques alternatives d’extraction. D’autres voix (comme celles de l’Académie des sciences, de Badinter, Chevènement, Juppé et Rocard dans une tribune publiée dans "Libération") se sont également fait entendre sur ce sujet mettant en avant l’importance de la recherche et la nécessité de laisser nos scientifiques travailler et s’exprimer librement.

Comme si la recherche scientifique, qui échappe largement au contrôle démocratique, était complètement désintéressée, non idéologique et systématiquement au service de la société française. Car derrière les grandes tirades et les concepts abstraits de certains sur la science au pays de Descartes, de nombreuses questions, plus concrètes, subsistent, notamment concernant les financeurs de la recherche.

La recherche hors de portée des laboratoires publics
Dans le débat sur le gaz de schiste, le terme de "recherche" peut avoir une double signification : la recherche de nouvelles techniques d’extraction visant à remplacer la fracturation hydraulique et/ou l’exploration du sous-sol. Or, ces deux chantiers sont hors de portée de la totalité des laboratoires publics, y compris le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), en raison des coûts extrêmement élevés. Par conséquent, la question du financement de la recherche par les compagnies privées se pose.

Concernant l’invention de nouvelles techniques d’extraction, rien, dans le cadre législatif, n’empêche les compagnies privées de le faire. Mais le financement privé est soumis à l’évaluation de la pertinence des travaux et aux exigences de garantie de rentabilité.

Il n’y aura pas de nouvelle technique d’extraction juste pour la France
Or, jusqu’à la décision du conseil constitutionnel, il était plus simple et moins coûteux pour une compagnie de jouer la montre en pariant sur une modification de la loi que d’entamer des recherches scientifiques ne garantissant pas de résultats sur le court terme. De plus, la règlementation sur l’extraction du gaz de schiste en France étant quasi-unique à l’échelle mondiale, la portée commerciale de l’investissement dans la recherche de nouvelles techniques est par conséquent fortement réduite.

Ainsi, les compagnies ont plutôt intérêt à utiliser la fracturation hydraulique dans d’autres pays plutôt que de chercher une nouvelle technique d’extraction qu’elles n’utiliseront probablement qu’en France.

Enfin, même dans le cas où une nouvelle technique serait opérationnelle, le coût de la recherche et de l’expérimentation scientifique - qui consiste à reproduire un certains nombre de fois l’expérience - ferait augmenter significativement le coût d’extraction du gaz de schiste en France et donc réduirait voire condamnerait la rentabilité de l’exploitation.

Ce surcoût s’ajouterait au coût déjà existant du manque d’infrastructure en Europe. Une autre étude du BNEF (Bloomberg New Energy Finance) montre également que les coûts au Royaume-Uni seront de 50% à 100% plus élevés qu’aux États-Unis. Compte tenu de la portée commerciale limitée de ce type de recherche, il y a donc peu de chance que les compagnies privées investissent dans de tels projets.

L’exploration : un attrape nigauds
Mais qu’en est-il de la recherche concernant l’exploration du sous-sol ? Un financement par une compagnie privée paraît difficilement envisageable. Si une compagnie explore le sous-sol sans pouvoir l’exploiter ensuite, elle investit à fonds perdus. Seulement, l’exploration gazière a un coût énorme que la production de gaz est censée rembourser. Mais comme la seule technique permettant d’extraire le gaz de schiste en France est interdite, l’opération est d’entrée de jeu perdante.

Il faut donc être bien naïf pour penser qu’une compagnie accepterait de financer des recherches dans le seul but de permettre à la France de mieux connaître son sous-sol. Sauf si l’exploration a un autre but : influencer l’opinion publique et accélérer les processus de décisions politiques au moyen d’estimations "énormes" de réserves.

On se retrouve alors face à un cercle vicieux que beaucoup de pays pétroliers ont connu : l’asymétrie d’information entre les compagnies et l’État sur la valeur du sous-sol. Plusieurs rapports de la Banque mondiale ont pointé du doigt ces problèmes d’asymétrie dans les pays africains notamment parce qu’ils favorisent le bradage des ressources.

D’autres secteurs mériteraient plus d’attention
Dans ces conditions où la recherche par des fonds privés semble illusoire, la seule solution est de se tourner vers des fonds publics. Mais comme les seuls ayant la capacité technique pour réaliser les explorations sont les compagnies privées, le financement public irait donc aux compagnies, avec probablement en partenariat un organisme public comme le prévoit la loi.

Dès lors, dans un contexte où l’État annonce un objectif d’économie de 14 milliards d’euros, se pose la question fondamentale de l’efficacité de la dépense publique.

Une recherche ayant comme finalité une estimation des réserves de gaz de schiste mérite-t-elle un financement public ? Ou plutôt n’existe-t-il pas en France d’autres secteurs, plus porteurs économiquement ou plus utiles socialement, ayant davantage de légitimité à obtenir ces financements ? Force est de constater que le gaz de schiste est devenu un totem cristallisant tous les biais cognitifs propre à "l’éléphant blanc" et ses projets publics d’envergure qui s’avèrent plus coûteux que bénéfiques comme le fut le Concorde en son temps.

Par Thomas Porcher, prof d’économie sur le plus.nouvelobs.com