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Tout l’or du monde pour un baril de pétrole
mercredi 2 octobre 2013
TOUT L’OR DU MONDE POUR UN BARIL DE PÉTROLE
Par Jean-Marc Vittori sur Les Echos.fr
Le gaz de schiste est un arbre qui cache la forêt : il devient de plus en plus coûteux de produire des matières premières, montre un rapport du McKinsey Global Institute. La facture ne pourra pas monter jusqu’au ciel.
Les pêcheurs sont des râleurs perpétuels. A les écouter, ils doivent aller toujours plus loin pour ramener des poissons toujours plus petits. Et comme on ne calibrait pas ce qui remontait des filets il y a un siècle, leurs plaintes paraissent difficiles à étayer. Sauf qu’il y a un siècle, on prenait déjà des photos sur les étals des pêcheurs sur les ports.
La comparaison permet de trancher : les pêcheurs ont raison. Ils doivent faire davantage d’efforts pour ramener moins. Et ce n’est qu’un tout petit bout de l’histoire.
Car cette loi d’airain des rendements décroissants s’applique à tous ceux qui exploitent des ressources naturelles, comme l’eau, le pétrole, l’or, le cuivre, le bois ou le soja.
Jusqu’où serons-nous prêts à aller pour trouver de l’eau potable, un baril de pétrole, un thon ? Cette question économique majeure a été évacuée du XXe siècle. Elle sera au cœur du XXIe. Un récent rapport du McKinsey Global Institute (1) le montre clairement.
Au siècle dernier, les prix des matières premières avaient été divisés par deux. Dans la première décennie de ce siècle, ils ont au contraire été multipliés par plus de deux (il s’agit ici des « prix réels », après déduction de la hausse générale des prix).
Les experts s’empaillent depuis des années pour savoir s’il s’agit d’un « supercycle », avec une hausse particulièrement forte qui sera suivie d’une baisse sensible, ou d’une « nouvelle ère », avec des cours durablement plus élevés sur fond de rareté croissante des ressources.
Les tenants de la première thèse ont repris de la vigueur ces derniers temps, avec les chutes observées par exemple sur les marchés du nickel et du maïs, et aussi l’essor du gaz de schiste qui pèse sur les prix de l’énergie. Ils ont aussi des arguments solides à faire valoir.
Ce tout début du XXIe siècle a été exceptionnel, non pas tant par les excès financiers que par l’émergence accélérée de la moitié de l’humanité sur la scène économique mondiale. « Les revenus moyens en Chine progressent dix fois plus vite que dans le Royaume-Uni lors de la révolution industrielle, et dans un pays cent fois plus peuplé », relèvent les experts du McKinsey Global Institute. De quoi aspirer les ressources de la terre entière, et c’est bien ce qui s’est produit.
La demande de nombreux produits a bondi de manière spectaculaire. Le blé et la viande pour mieux se nourrir, l’acier dont on fait les villes, le cuivre avec lequel on tisse les réseaux électriques…
Mais les partisans de la nouvelle ère estiment que l’offre a aussi beaucoup changé, de manière plus discrète et encore plus irréversible.
Les hommes sont donc partis chercher leurs ressources toujours plus loin, en prenant toujours plus de risques. Au siècle dernier, ils ont découvert d’immenses gisements, comme le site chilien de cuivre à Chuquicamata en 1915 (plus grosse production cumulée mondiale) ou l’océan de pétrole de Ghawar en 1948 (près des deux tiers des exportations saoudiennes pendant un demi-siècle).
Aujourd’hui, ils trouvent des poches moins pleines, ils vont chercher les fruits plus haut sur l’arbre. Les découvertes minières stagnent malgré un quadruplement des dépenses d’exploration.
Près de la moitié de la hausse des cours de l’or entre 2001 et 2011 serait due à des causes géologiques. La moitié des nouvelles ressources en cuivre viennent de régions à haut risque politique. Les compagnies pétrolières recourent à des moyens non conventionnels, qui reviennent plus cher quand il s’agit par exemple d’aller chercher l’or noir en mer à plus de six kilomètres sous le niveau de l’eau. Le coût moyen d’un puits de pétrole a doublé en une décennie. Quant aux activités agricoles, elles manquent d’espace (sauf en Afrique) alors que l’urbanisation fait disparaître près de 2 millions d’hectares par an sous une chape de béton et de goudron.
La montée des prix a provoqué un autre phénomène, moins connu : les cours des ressources sont de plus en plus corrélés.
D’abord parce qu’il faut de plus en plus de matières premières pour fabriquer d’autres matières premières. L’énergie fait 15 à 30 % du prix des produits agricoles (gazole pour les tracteurs, production d’engrais, etc.).
L’acier représente le tiers des investissements d’un projet pétrolier (et un forage horizontal réclame quatre fois plus d’acier qu’un forage vertical).
Ensuite, le renchérissement pousse à la substitution. Quand le baril de pétrole valait 5 dollars, il pouvait paraître inutile de chercher d’autres sources d’énergie. Quand il dépasse 100 dollars, il devient rentable de transformer de la pomme de terre en sachet d’emballage, ou du maïs en biocarburant.
La flambée du Nylon a entraîné la hausse des prix du coton. Les hausses des prix de matières premières seront de plus en plus des hausses générales.
Le gaz de schiste est donc un arbre qui cache la forêt. Les ressources naturelles nous coûteront de plus en plus cher. Le problème n’est pas l’épuisement des ressources naturelles, mais leur renchérissement.
Cette année, près de 700 milliards de dollars auront été dépensés pour chercher et exploiter du pétrole et du gaz. Pas loin de 1 % du PIB mondial ! Quand il faudra dépenser tout l’or du monde pour trouver un baril de pétrole, ou une tonne de cuivre, ou cent kilos de poisson, nous renoncerons. Nos renoncerons même avant. Il faudra alors s’organiser autrement. Mais comment ?
(1) « Resource Revolution : Tracking global commodity markets », McKinsey Global Institute-McKinsey Sustainability & Ressource Productivity Practice, septembre 2013.