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Gaziers et gaz de schiste : "À force de buter contre son camp !"
vendredi 13 septembre 2013
GAZIERS ET GAZ DE SCHISTE :
"À FORCE DE BUTER CONTRE SON CAMP !"
Article de Corinne Lepage
Députée européenne, ancienne ministre de l’Environnement,
Présidente de CAP21 et du Rassemblement Citoyen
Lire l’article sur Huffington Post.fr
Le 07 février 2012, la France a connu une pointe à 100.496 MW. En France, 1 ménage sur 3 a recours au chauffage électrique et cela représente plus de 10% de la consommation d’électricité.
Ce soir là, le parc nucléaire a couvert 58% de la consommation laissant 42% d’électricité d’origine non nucléaire. 11,5% pour l’hydraulique, 3,6% pour l’éolien et 5,6% pour la cogénération.
C’est dans des moments comme cela que l’on redécouvre la faiblesse de notre système construit pour encourager la consommation sans discernement de la disponibilité des ressources.
On découvre alors qu’à ce moment là on a importé 7,3% de notre électricité et nous avons mis en marche des centrales à charbon françaises (et oui on en a) pour 4,7%, les centrales au fioul pour 5% et les centrales gaz pour 3,2% des approvisionnements. Les émissions de CO2 ont explosé et le MWh a atteint 172,70 euros. Nous savions déjà que certaines centrales produisaient une électricité très chère mais dont nous cachions le coût car il est corolaire au nucléaire.
Dans ce mode de fonctionnement nous connaissions déjà les externalités financières, nous avons aussi découvert les externalités industrielles et écologiques de la pointe. De plus, il faut y rajouter des facteurs extérieurs.
L’arrivée des gaz de schiste aux États-Unis sur un marché qui ne prend pas en compte ses externalités (en partie du fait de la concentration de population sur certaines zones rendant des surfaces désertiques pour l’exploitation d’une ressource sale pour le climat, l’environnement et destructeur du cadre de vie) ont déséquilibré le prix du marché des matières premières énergétiques.
La baisse du coût du charbon sur le marché mondial du fait de la faible demande américaine a entrainé un effet d’aubaine en Allemagne. Surtout quand de surcroit le prix du CO2 est tellement faible que les industriels ne voient que des avantages pour s’y engouffrer.
Dans ce contexte, neuf industriels européens du gaz ont lancé un cri d’alarme en raison de l’absence de rentabilité d’un certain nombre de leurs centrales à gaz. Ils demandent maintenant à ce que soient financées ces centrales lorsqu’elles ne produisent pas au motif qu’elles servent pour les pointes de consommation.
La situation n’est pas nouvelle mais elle est augmentée au niveau européen par les deux facteurs que sont la réduction de la consommation d’électricité et l’apparition de source d’approvisionnement concurrente moins chère. Or ces mêmes industriels jusqu’à il y a peu soutenaient un scénario de progression constante de la consommation d’électricité, niaient corolairement l’augmentation massive de la production d’énergie renouvelable, désormais rentable et n’anticipait pas d’autres sources de production si ce n’est les gaz de schistes qu’ils supportent et qui conduit aujourd’hui au dysfonctionnement du marché.
Cette stratégie totalement absurde est encore renforcée par le lobbying forcené au niveau européen pour empêcher une taxation du carbone et pour réduire à néant le système ETS. Pourtant ce système ne pourrait que convenir aux exploitants de gaz conventionnel -dont nous avons besoin ne serait-ce que pour sa réactivité- au détriment du charbon sauf que cela gêne les ambitions de ces derniers pour une exploitation de gaz de schiste dont la production est très émettrice de méthane.
A force de buter contre leur camp, à refuser de regarder la transformation du monde pour y adapter leur stratégie, au lieu de vouloir peser en fonction d’une stratégie préétablie sur cette transformation du monde, les énergéticiens du gaz n’ont cessé de faire fausse route.
La même critique doit être faite à l’industrie nucléaire en France qui continue, à tabler sur une forte augmentation de la consommation et à défendre le tout nucléaire en bataillant de manière constante contre les énergies renouvelables.
Pourtant, malgré la désinformation du secteur nucléaire selon lequel les énergies renouvelables ne seraient pas rentables, la Cour des Comptes elle-même a reconnu que l’éolien terrestre était devenu parfaitement rentable comparativement à un nucléaire sorti EPR, dont le coût dérape. Certes, la production française stagne mais la conséquence est contre-productive non seulement pour le secteur des Enr mais pour toute l’économie française.
Au lieu d’en tirer les conséquences, de fermer les centrales les plus anciennes, d’investir massivement dans le renouvelable, nos acteurs historiques continuent à tabler sur le passé, à tenter de valider des schémas de consommation fantaisistes -ces mêmes schémas avaient conduit dans les années 80 à construire huit réacteurs nucléaires de trop en France- à exiger des fonds publics toujours plus grands pour pérenniser un système dépassé, à lutter contre toutes les dispositions réglementaires ou fiscales qui seraient en définitive de nature à leur permettre de passer le cap et à agir pour ne subir aucune contrainte en ne payant pas d’assurance et en ayant un accès aux ressources financières garanties directement ou indirectement par l’État.
Le comble de l’absurdité et de la ringardise est aujourd’hui dépassé lorsque l’on voit les industriels du gaz rejoindre ceux du nucléaire pour plaider en défaveur des énergies renouvelables... Et en faveur du gaz de schiste !
Le XIXème siècle cherche à gagner sur le XXIème ! Et ce sont les mêmes qui prétendent défendre le progrès, la science et la rationalité. À force de buter contre son camp, on finit par perdre !