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Industrie minière : Prospérité ou désolation ?
samedi 5 mars 2016
INDUSTRIE MINIÈRE : PROSPÉRITÉ OU DÉSOLATION ?
De Potosi à l’Arctique
Par Jacques Ambroise, le 04-03-2016
Après avoir été confronté à la problématique des gaz de schiste lorsque je résidais en région Midi-Pyrénées, à la suite d’un déménagement en Bretagne, me voici confronté à la défense d’un nouveau territoire contre l’industrie minière. D’où la raison de ce texte.
"Les politiques de l’énergie qui seront appliquées dans les dix prochaines années décideront de la marge de liberté dont jouira la société. Une politique de basse consommation d’énergie permet une grande
variété de modes de vie et de cultures. Si, au contraire, la société se prononce pour une forte consommation d’énergie, alors elle sera obligatoirement dominée dans sa structure par la technocratie et, sous l’étiquette capitaliste ou socialiste, cela deviendra pareillement intolérable"
Constat prophétique posé par Ivan Illich en 1973 dans son opuscule "Énergie et Équité"
Ainsi qu’en atteste les plus lointaines traces archéologiques révélant un travail lithique et quasiment dès son apparition sur cette planète, l’activité minière fut une tâche à laquelle l’espèce humaine s’est rapidement attelée.
Qu’avait-elle d’autre à faire que de chercher un abri, de s’adonner à la cueillette, à la pêche, la chasse ou à se défendre contre d’éventuels prédateurs ? Pour Homo rudolfensis ou Homo habilis et peut-être même leurs prédécesseurs, gratter la couche superficielle du sol était sans doute un geste naturel mais nécessaire pour l’extraction du silex.
Quelques centaines de milliers d’années plus tard à l’Age du Bronze et du Fer, l’extraction dedifférents minerais (fer et cuivre notamment) sert à la fabrication d’ustensiles, de bijoux ou d’armes.
Rien de bien grave au regard des instruments utilisés et au nombre d’individus présents sur la planète.
Dans l’antiquité, accompagnée d’une augmentation significative des populations, et de plusieurs perfectionnements mécaniques, les grands Empires améliorent les procédés d’extraction et déploient une considérable inventivité pour accroître leur productivité, creusant plus profond et utilisant une main d’œuvre servile. Puis au Moyen-Age les échanges s’intensifient, presque tous les Royaumes d’Europe exploitent de petits gisements de fer, d’argent, de plomb et de cuivre essentiellement.
Pour l’extractivisme au sens moderne, industriel et circum-planétaire du terme, il faudra attendre la fin du Moyen-âge et les "grands voyages de découverte" définissant la nouvelle époque des Temps Modernes.
Lorsqu’en 1492, Christophe Colomb s’égare quelque part dans les Antilles, l’Europe occidentale s’impose déjà pour le reste du monde comme une puissance coloniale prédatrice, militariste et expansionniste, bref la nouvelle puissance impériale planétaire. Le marché triangulaire transatlantique des esclaves marque ses heures de gloire prétendument "civilisatrice". De ce commerce hautement lucratif destiné à servir l’extractivisme en Amérique du sud, naîtra en Europe du Nord le capitalisme industriel et financier vers la fin du XVIIIème siècle ouvrant l’Époque Contemporaine.
En ces temps anciens, l’or et l’argent sont la fortune par excellence des riches, des rois, des princes et des princesses. L’histoire de cette richesse surabondante facilement acquise par les élites de l’époque débute en 1545 dans l’actuelle Bolivie et au cœur des entrailles du Cerro Rico (Montagne riche) au pied de laquelle fut fondée la ville de Potosi.
Par l’ampleur nouvelle des flux économiques transatlantiques et internationaux, généré par l’extraction de ce métal précieux (l’argent), l’épopée de Potosi fut sans nul doute l’entité princeps de l’extractivisme moderne mondialisé. Les richesses minières (l’argent et par la suite l’étain), exploitées durant un siècle, firent les lumières très éphémères des vieilles têtes couronnées de l’Espagne qui les dilapideront en fastes et en dépenses de luxe aux profits du commerce qui assurera la fortune durable de l’Europe du nord devenue très mercantile ... Colbert écrivait à cette époque : « Plus un État fait de commerce avec l’Espagne, plus il possède d’argent ».
Mais surtout, elles permirent l’émergence d’une finance transnationale européenne.
En un siècle, la couronne d’Espagne croulait sous sa dette souveraine détenue par les créanciers du nord de l’Europe, en commençant par le Royaume de France. Le Colbertisme version française du mercantilisme doit beaucoup aux crimes de masse de la monarchie ibérique en Amérique. Quelques millions d’Amérindiens et d’esclaves africains (certaines estimations vont jusqu’à 6 millions) périrent aux origines de « La Richesse des Nations » selon l’euphémisme d’Adam Smith. Désormais posées, les bases du capitalisme financier et industriel ainsi que l’essor international de l’Europe occidentale trouvent une partie de leurs sources à Potosi (1).
Quelques siècles plus tard, associés à un progrès fulgurant des sciences et techniques et quelques milliards d’individus supplémentaires assujettis à un modèle de développement imposé, ont eu pour conséquence une intensification considérablede la demande en minerais dits "précieux et stratégiques" ainsi qu’en hydrocarbures fossiles.
L’extractivisme se définit comme étant consubstantiel du productivisme fondé lui-même par la surexploitation des ressources planétaires, en grande partie non renouvelables, dont l’ultime finalité est l’accumulation et la concentration de richesses au profit de quelques-uns.
Contrairement aux arguments souvent avancés par les thuriféraires du modèle de développement capitaliste occidental, non seulement ce système ne permet pas à un plus grand nombre d’accéder aux jubilations d’un consumérisme ostentatoire, mais il reste fondamentalement inégalitaire et profondément destructeur. Si dans un passé colonial proche, les pays du sud ont eu en premier lieu à subir les affres de ces industries mortifères,l’organisation internationale récente de larésistance des peuples autochtones nous a révélé jusqu’à quel point elle s’accompagne immanquablement de violations des droits humains, des droits ancestraux de la terre, d’expropriations, de conflits, de viols, de corruption, de contaminations de l’environnement, et d’impacts sanitaires désastreux, etc…
Depuis plus d’un siècle, un autre exemple nous est donné par la situation apocalyptique engendrée par ces industries, dans la si mal nommée "République Démocratique du Congo" (RDC).L’histoire minière de ce pays débute au début du XXème siècle dans la tristement célèbre province du Katanga au sud-est de la RDC, riche de ses mines de cuivre, d’étain,
de cobalt, de diamant, de zinc, de radium, d’uranium, etc.
A La manœuvre, l’Angleterre et la Belgique actionnaires majoritaires de l’Union minière du Haut-Katanga (UMHK). Loin des regards, dans un espace de non droit humain, elle prospérera sans entrave pendant près de 60 ans. Il va sans dire que l’industrie minière coloniale a mis tout son savoir-faire dévastateur en action : déforestation, captation de quantités colossales d’eau, déplacements massifs de population depuis d’autres régions de la RDC, de la Rhodésie, du Rwanda ou du Burundi, soutien inconditionnel aux sécessionnistes Katangais lors des troubles
qui marquèrent l’indépendance du Congo. Jusqu’à l’ONU qui finit par s’émouvoir de la situation conflictuelle, soupçonnant l’UMHK definancer et d’armer des mercenaires tels que les affreux Jean Schramme ou Bob Denard de sinistre mémoire.
Aujourd’hui encore la RDC (mais pas seulement) est l’objet de la convoitise de la plupart des multinationales de l’industrie du numérique et de l’armement dont les besoins en métaux stratégiques (famille de 14 substances**dont le cobalt, le platine, etc.) et en "terres rares" (famille de 17 éléments chimiques dont le fameux Tantale ou Coltan, le tungstène, etc.) sont essentiels au développement de la haute technologie moderne. Sans ces substances connexes non-substituables, pas de progrès technique !
En 2003, un rapport du conseil de sécurité de l’ONU n’y allait pas par quatre chemins et déclarait : "L’exportation de la colombotantalite (coltan), dont on extrait le tantale, constitue un exemple précis. Le tantale est utilisé, notamment, pour la production de composants électroniques. En 1999 et 2000, ses cours mondiaux ont monté en flèche, ce qui a entraîné une forte hausse de la production de coltan dans l’est de la RDC. Cette hausse a été en partie le fait de groupes rebelles et d’hommes d’affair/es /sans scrupules qui ont forcé les agriculteurs et leurs familles à quitter leurs terres, ou qui ont chassé les occupants des terres où on trouvait du coltan et les ont forcés à travailler dans des mines artisanales. L’agriculture a été détruite sur une vaste
échelle et les conditions sociales sont devenues très dures, parfois proches de l’esclavage".
L’ONU ayant alerté d’autres organisations internationales telles que l’OCDE, ainsi qu’ayant enjoint les multinationales à prendre leurs responsabilités, on pouvait idéalement penser que la situation aurait favorablement évoluée, mais un récent rapport de l’ONG Amnesty International déçoit nos espoirs et nous ramène à la terrible histoire de Potosi :"Au moins 80 travailleurs ensevelis dans des mines
artisanales en 2015. Des milliers d’enfants exploités pour 1 ou 2 dollars par jour portant des sacs pouvant peser jusqu’à 40kg ... Interrogées, les multinationales de la téléphonie et de l’informatique
réfutent, ignorent, s’offusquent, quand on leur demande dans quelles conditions ont été extrait les minerais qu’elles utilisent".
Tout comme l’industrie pétrolière, l’industrie minière ne s’encombre pas des fléaux qu’elle engendre. Pire, elle profite des pays où règne le chaos, où les législations sont plus lâches pour prospérer et si par un malencontreux concours de circonstance un accident survient, cela fait partie des risques que les populations doivent accepter au nom du Progrès.
L’exacerbation récente de l’extractivisme s’accompagne de la multiplication des catastrophes humanitaires et environnementales.
En novembre 2015, le Brésil a dû faire face à un des plus graves accidents de son histoire : 50 millions de tonnes de boues toxiques ont englouti une vallée après la rupture de deux barrages de résidus
miniers. Bilan : 17 personnes tuées, 75 autres blessées. Ces boues toxiques se sont ensuite écoulées le long du Rio Doce (Rivière Douce), tuant inéluctablement la faune et la flore de l’un des plus importants fleuve brésilien, avant de rejoindre l’océan Atlantique, à 850 km de là. Les sources en eau potable de tous les villages avoisinants ont été contaminées, privant quelques 500 000 milles personnes de l’accès à cette ressource vitale (2).
Au mois de décembre 2015, c’est en Birmanie qu’un glissement de terrain sur un site minier d’extraction de jade a engloutit 50 personnes. Un premier accident du même genre s’était produit un mois plus tôt tuant 114 personnes (3). En suivant l’actualité des turpitudes de l’industrie minière mondiale, c’est pratiquement chaque mois que de tels désastres surviennent quelque part dans le monde.
Mais pendant ce temps dans une surenchère sans limite, des experts économiques estiment à 900 000 milliards de dollars la valeur des réserves pétrolières de l’Arctique, désormais à portée de forage grâce au réchauffement climatique, sans compter les ressources en gaz et en minerais bien évidemment.
Le désastre est global, humain, sanitaire, social, environnemental.
Et du côté de notre village gaulois, la France, que ce passe-t-il ?
Fin 2012, notre feu ministre du "redressement productif", un habitué des fausses bonnes idées", A. Montebourg rêve que la France redevienne un pays minier ! Mais pas seulement. A l’instar d’une 3^ème république à la Jules Ferry, il imagine la création d’une compagnie nationale des mines qui partirait exploiter le sous-sol de l’Afrique francophone, d’Asie centrale, d’Amérique du sud" /mais avec une forme de technologie moderne, nouvelle, à taille humaine"/ (sic).
La formule fut reprise quelques temps plus tard par son digne successeur E. Macron, sans oublier l’incontournable tarte à la crème de la croissance, de la création d’emplois et de l’indépendance des approvisionnements. Un nostalgique retour au passé, une nouvelle saga coloniale ? Oh, bien sûr, rien à voir avec l’exploitation passée de la première révolution
industrielle ayant laissé dans les mémoires populaires les nombreux accidents dû aux "coups de grisou" et ses milliers de victimes, la rudesse des conflits sociaux à l’époque où les syndicats étaient puissants, et les milliers de sites toujours pollués comme en témoignent les récurrentes chroniques médiatiques locales.
Nos décideurs politiques avec la complicité de technoscientifiques sont décidément incorrigibles. Bien qu’un nombre croissant de peuples du monde entier s’opposent fermement face à ces projets destructeurs, réclamant l’application des textes fondamentaux donnant à chacun le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, rien ne peut les sortir de leur cécité et ils ne peuvent concevoir la nature autrement qu’en étant une pourvoyeuse infinie de ressources à exploiter. Fi des études sur l’épuisement des ressources de la planète et le "global overshoot day" ou "jour du dépassement global", date à laquelle l’humanité a épuisé les ressources théoriquement renouvelables de la planète (en 2015, le 13 août). Envolées les bonnes résolutions de lutte contre le réchauffement climatique, et la préservation de la qualité de l’eau de l’air et des terres agricoles, oublié l’Anthropocène, cette nouvelle ère géologique liée à l’influence des activités industrielles et humaines qui influencent de manière déterminante le système terrestre et sa biosphère, disparus les engagements sur les économies et l’efficacité énergétique du paquet Energie-Climat de l’Europe, etc.
En réalité, la fameuse "compagnie nationale des mines de France" n’a toujours pas vu le jour, mais 8 demandes de permis exclusifs de recherches de mines sont en cours d’instruction et 8 autres ont été accordés à des compagnies privées dont certaines à capitaux étrangers. Ce renouveau minier aurait-il comme avantage de préparer l’humanité vers des lendemains enchanteurs grâce essentiellement à la technologie numérique ? Il semble de plus en plus acquis que la science au service de l’industrie soit entrée en disgrâce et qu’elle est de plus en plus vécue comme un problème plutôt que comme étant la solution aux nombreux défis posés à l’humanité.
Est-ce que le monde libre doit continuer à regarder ailleurs pendant que les déchets toxiques de ses hautes technologies sont envoyés dans les décharges des mêmes pays d’où viennent les minerais ?
Depuis à peine un siècle, l’ordre capitaliste a forcé les populations de toute la planète à s’engager dans un modèle de développement « sans limite ». Ce modèle a colonisé toute notre organisation sociale et s’est infiltré jusqu’à déterminer nos gestes et nos besoins quotidiens les plus élémentaires (urbanisme, habitat, transport, agriculture industrielle et alimentation, santé et industrie chimique).
La Terre a des limites et les phénomènes biophysiques de notre planète sont poussés à leur extrême limite.
L’ensemble de l’humanité dans toute sa diversité culturelle actuelle n’a aucune envie d’être rassemblé en troupeau stupide et servile dans un mode de vie occidental énergivore, ni de poursuivre aveuglément dans la voie de la destruction et spoliation des richesses de la planète en hypothéquant l’avenir des générations futures. L’homme n’est certainement pas sur terre dans le seul but de l’accumulation insatiable de profit et de biens matériels et chaque individu doit se réapproprier son existence en redéfinissant ses choix de vie, sa liberté, ses espaces d’actions démocratiques (4).
Face à ces conséquences multi-génocidaires et écocidaires évidentes depuis 5 siècles, il est urgent de mettre finà l’épopée extractiviste des temps modernes.
Notes :
(1) Jacques Ambroise, Jean-Marc Sérékian, Gaz de schiste, le choix du pire. Editions "Le Sang de la Terre" novembre 2015 - Présentation en pdf
(2) Tragédie écologique et boues toxiques au Brésil : pourquoi les autorités ont tardé à réagir. Par Erika Campelo, avec Kadeh Ferreira - 3 décembre 2015 - Lire l’article sur Bastamag
(3) Un glissement de terrain en Birmanie laisse des dizaines de disparus. Publié le 26/12/2015 - Lire l’article sur Ouest-France
(4) Jacques Ambroise, Gaz de schiste, histoire d’une imposture. Editions "Le Sang de la Terre" avril 2013