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Les droits constitutionnels de la nature : d’une vision juridique anthropocentrique au biocentrisme
lundi 26 janvier 2015
LES DROITS CONSTITUTIONNELS DE LA NATURE : D’UNE VISION JURIDIQUE ANTHROPOCENTRIQUE AU BIOCENTRISME
Sur les pas de la Bolivie et de l’Equateur
Introduire et inclure les droits de la Nature dans le droit constitutionnel « en caractère de sujet de droit ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire du droit et de la politique… », affirme l’éminent juriste et écrivain argentin, Eugenio Raúl Zaffaroni également membre de la Cour Suprême, dans son livre « La Pachamama y el Humano » (La Pachamama –Terre Mère- et l’humain), présenté il y a quelques jours à Buenos Aires.
Eugenio Raúl Zaffaroni pose un débat de fond. Celui des droits de la nature. L’existence de droits d’autres « entités », en l’occurrence simplement la nature. La question est d’actualité. La préservation de l’environnement est devenue un enjeu notamment politique dans de nombreux pays.
Toutefois, seuls deux pays d’Amérique Latine- Équateur et la Bolivie- qui font figure de précurseurs, ont introduit dans leur nouvelle constitution les droits de la Nature. Ailleurs, souligne l’auteur, y compris en Argentine, « c’est toute la conception du droit et pas seulement du droit constitutionnel qui est anthropocentrique ». Ainsi ces nouvelles constitutions estiment qu’il y a d’autres sujets de droits qui ne sont pas humains, et qui n’ont pas les mêmes droits que les humains mais ce n’est pas pour cela qu’ils n’ont pas de droits.
Or, justement l’absence de reconnaissance et de respect de ces droits met en péril la planète et notre propre subsistance en tant qu’espèce. « Les constitutions de Équateur et de la Bolivie apportent un changement de paradigme parce que jusqu’alors l’anthropocentrisme dominait, mais à partir de maintenant nous commençons à reconnaître la personne- personnalité juridique des entités autres. Quel droit avons-nous de raser les montagnes ou de dévier les fleuves ? », se demandait Eugenio Raul Zaffaroni en présentant son livre.
Dans son ouvrage, il passe d’abord en revue comment la nature et les animaux furent intégrés ou exclus de la pensée philosophique et juridique au fil des siècles. Un long chemin a été parcouru jusqu’à ce qu’on admette même que tout être humain est une personne, rappelle t-il. Mais il n’y a jamais eu de réponse satisfaisante sur comment traiter la Terre-mère, au contraire même avec l’exploitation de ses ressources parfois à outrance. Ce n’est pas une simple question d’environnementalisme ou d’écologie, souligne l’auteur, mais Il est urgent donc de « dialoguer et cohabiter avec la nature », et de considérer ses droits. « La nature n’est pas pour nous. Nous sommes en elle » a-t-il souligné.
Approche philosophique mais aussi très politique à un moment où l’Argentine, comme de nombreux pays d’Amérique Latine, est confrontée à des choix cruciaux quant à la préservation de ses ressources naturelles, depuis sa souveraineté alimentaire jusqu’à l’exploitation, et à quel prix, des gisements miniers, ou à la protection des bassins aquifères.
Une approche qui met en valeur les peuples originaires qui « malgré les massacres et persécutions, maintiennent les valeurs de leurs cultures qui demeurent vivantes et se manifestent à travers eux ».
Ainsi, la Constitution Équatorienne utilise tant le terme de Nature que celui de Pachamama défini comme : « où se produit et se réalise la vie » (Article 72). Ce qui présente une autre approche de l’écologie politique : ce n’est pas neutre d’utiliser ces deux termes, d’autant que le terme de Pachama est ancré dans la cosmovision des peuples originaires et que le second est partie intégrante de l’héritage culturel européen.
La Terre Mère (ou Pachamama) a donc « le droit à ce que se respecte son existence et son maintien et sa régénération de ses cycles vitaux, structure, fonctions et processus évolutifs » (Articule 72). En conséquence « toute personne, communauté, peuple, nationalité, pourra exiger de l’autorité publique le respect des droits de la nature » … Alors que dans la majorité des constitutions d’Amérique Latine et d’ailleurs les thèmes de l’environnement sont évoqués comme les droits afférents aux droits économiques, sociaux, ou culturels, ce qui revient à considérer les droits de la nature comme une extension des droits détenus par l’humain : si on touche à un écosystème, on en mesure l’effet par rapport aux droits de l’humain.
Dans le cas de la Constitution Équatorienne, la Nature ou Pachamama n’est pas conçue seulement en fonction de son utilité pour l’être humain, à travers sa valeur d’usage, d’échange ou par extension en fonction des droits de l’être humain (propre de l’anthropocentrisme). De plus –autre innovation- la Nature ou Pachamama a “droit” à une restauration intégrale puisque l’article 73 le prévoit et il est ajouté la « restauration sera indépendante de l’obligation qu’ont l’Etat et les personnes physiques ou juridiques d’indemniser les individus ou collectifs qui dépendent des systèmes naturels affectés ».
Introduire la Restauration – dans son caractère total- comme un droit constitutionnel est une avancée très nette vers ce que d’aucuns nomment le biocentrisme.
Par Estelle Leoy-Debiasi sur El Correo, Paris le 9 janvier 2012.